L’ortie : entre mythes et traditions

Apr 16 / Vanessa Champagne

Qui s’y frotte s’y pique! Nicolas Culpepper écrivait que « l’ortie peut être trouvée au toucher, même dans la nuit la plus sombre » (traduction libre).

Qui s’est déjà frotté.e à l’ortie s’en souviendra! Son nom latin Urtica dioica en dit d’ailleurs long à ce sujet, puisque le mot « urtica » vient du mot latin urere qui signifie « brûler ». 

Au lieu de voir l’ortie comme une plante maline cherchant à tout prix à nous piquer, j’aime y penser comme une plante qui nous amène à ralentir et à réfléchir. Elle nous demande de nous arrêter pour bien peser nos gestes (à défaut de s’y piquer!).

Cette mauvaise herbe bien connue et mal-aimée de plusieurs est pourtant utilisée depuis des millénaires, notamment dans la nourriture et pour fabriquer des tissus. Des archéologues, au Danemark, auraient d’ailleurs trouvé une urne datant d’il y a 2800 ans, dans laquelle se trouvait du tissu fait de fibres d’ortie.

Le physicien et philosophe grec Hippocrate faisait mention de plusieurs remèdes à base d’ortie. En Égypte ancienne, cette plante était utilisée pour l’arthrite. Anciennement, on l'utilisait comme aphrodisiaque et on la recommandait comme antidote à certains poisons. Culpepper, herboriste, botaniste et médecin du 17e siècle, l’utilisait pour chasser le froid et l’humidité, et aborder les problématiques reliées, entre autres, aux cycles menstruels, à la peau, à la muqueuse buccale et aux systèmes urinaire et musculosquelettique. Plusieurs de ces usages médicinaux continuent d’ailleurs jusqu’à aujourd’hui. L’ortie était aussi employée pour éviter la perte de cheveux : au Moyen Âge, les hommes trempaient leur peigne dans le jus d’ortie à cette fin. À cette même époque, on en faisait aussi des onguents aux pouvoirs magiques surnaturels.

Illustration botanique de l'ortie

En Irlande, il était coutume de manger de l’ortie au moins trois fois au mois de mars pour assurer notre santé pour l’année à venir. En Écosse, la tradition était de récolter l’ortie en silence à minuit, pour assurer son efficacité. Dans certaines traditions, on ne recueillait que les jeunes pousses d’ortie avant le 1er mai (May Day, la fête du printemps), avant que le diable ne les cueille pour s’en faire des vêtements.

Selon certaines croyances roms, l’ortie pousserait où se trouvent des passages souterrains vers les «pcuvus», soit les fées de la terre. Chez les Celtes, on croyait que les talles d’ortie indiquaient que des fées habitaient tout près. L’ortie permettait aussi, selon leurs coutumes, de se protéger contre la magie des fées et contre la magie noire.

Dans le monde anglo-saxon, neuf plantes étaient considérées comme sacrées. Dans un sort contenant ces neuf plantes (« Nine Herbs Charm »), l’ortie était utilisée contre les « coups d’elfes », soit des douleurs mystérieuses qui étaient, disait-on, infligées par les flèches des elfes. Elle protégeait aussi contre le « venin volant », une affliction liée à la magie noire qui, pensait-on, anciennement, était la cause de grand nombre de mortalité. L’ortie était utilisée dans certains rituels funéraires de traditions estoniennes.

Dans les traditions ukrainiennes anciennes, cette plante servait à nous protéger de la sorcellerie. Tenir dans ses mains un bouquet d’ortie et d’achillée millefeuille était un talisman puissant pour éloigner les mauvais esprits. En Russie, on plaçait de l’ortie aux fenêtres pour faire fuir les sorcières, la veille de la Saint-Jean. En Pologne, c’est à l’extérieur des maisons que l’on accrochait de l’ortie pour se protéger de la sorcellerie, la veille du solstice d’été. En Angleterre, elle servait de talisman contre la peur. Cette plante, vous l’aurez remarqué, est grandement associée à la protection contre le malheur, les mauvais esprits et les mauvais sorts.

Taille d'ortie avec papillon jaune

À Wales, dans les années 1800, Marie Trevelyan écrivait qu’elle servait à prédire si les gens allaient survivre à la maladie. Selon certaines traditions, déposer un bouquet d’ortie fraîche sous le lit d’un malade l’aidait à guérir. Un vieux charme de fermier consistait, pour sa part, à amasser sept branches d’ortie et à les attacher ensemble avec sept nœuds pour éloigner la mauvaise fortune.

Notons que l’ortie a aussi une affinité avec le monde des rêves. Les tribus Kawaiisu l'employait pour induire les rêves et lors de certains rituels chamaniques.

Dans la mythologie nordique, l’ortie est associée à Thor, le dieu du tonnerre, et à Loki, le dieu de la malice, qui fabriquait ses filets de pêche magiques à l’aide d’orties.

Gros plan sur feuille d'ortie

Bien qu’elle pique sans prévenir, je ne considère pas l’ortie comme sournoise ou mal intentionnée. Au contraire, je la vois comme une source de grandes leçons et comme une plante bienveillante, même si elle est une enseignante plutôt ferme qui ne passe pas par mille chemins pour nous transmettre son message. Elle nous enseigne l’importance de se protéger. L’ortie n’est pas simplement une plante urticante, elle est aussi incroyablement nourrissante. C’est d’ailleurs pour ses qualités nutritives que nous l’utilisons, le plus souvent. Certains pensent qu’elle est si précieuse, riche et utile pour l’humain qu’elle s’est dotée de poils urticants pour se protéger et éviter les abus. Il y a là peut-être quelque chose à apprendre?

L’ortie nous enseigne également la franchise et l’affirmation de soi. Elle ne cherche pas à dissimuler sa nature sous des apparences flatteuses. Au contraire, elle se montre telle quelle est. Matthew Wood, herboriste reconnu, perçoit cette plante « comme une vieille dame munie de son balai, qui exhorte les gens à bouger : ne reste pas là à ne rien faire, dit-elle, bouge un peu! » (traduction libre). S’il est vrai qu’énergétiquement elle amène un certain mouvement, elle nous oblige aussi à nous arrêter et à réfléchir sur notre approche des choses. La cueillette de l’ortie demande précautions et minutie pour éviter que l’on s’y pique, une leçon que l’on peut appliquer à la vie. De plus, son côté urticant a des vertus médicinales, telle une métaphore nous rappelant que les épreuves que nous traversons nous forgent.

Références : Bertrand (2002), Ayales (2022), Inkwright (2019), Belew/Bundy (2023), Lawrence (2020), Schulke (2022), Culpeper (1652/1814), Wood (1997)
Images : (1) snibl11, Pixabay; (2) https://www.pinterest.ca/pin/233553930649126408/;  (3) Wyxina Tresse, Pixabay; (4) Hans, Pixabay 

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